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L'IDENTIFICATION
Séminaire IX
Séminaire du 4 avril 1962


J.LACAN  

                     

 

(->p346) (XVI /1)

        Ceux qui pour diverses raisons, personnelles ou pas, se sont distingués par leur absence à cette réunion de la Société qu'on appelle provinciale vont se sentir en proie à un petit aparté ; car pour le moment, c'est aux autres que je vais m'adresser, pour autant que je suis avec eux en reste, en un reste gentil. Peut-être le soupçon leur en est-il venu, car j' ai dit quelque chose à ce petit congrès. Ca a été pour défendre la part qu'ils ont prise et cela n'allait pas chez moi, je dois le dire, sans recouvrir quelque insatisfaction à leur endroit.

    Il faut quand même un peu philosopher sur la nature de ce qu'on appelle un congrès. C'est en principe une de ces sortes de rencontre où l'on parle, mais où chacun sait que quelque chose qu'il dise participe de quelque indécence, de sorte qu'il est bien naturel qu'il ne s'y dise que des riens pompeux, chacun restant pour l'ordinaire vissé dans son rôle à garder.

    Ceci n'est pas tout à fait ce qui se passe à ce que nous appelons, plus modestement, nos journées. Mais depuis quelque temps tout le monde est très modeste. On appelle ça colloque, rencontre. Cela ne change rien ..... au fond de l'affaire, cela reste toujours des congrès.

    (->p347) (XVI/2) I1 y a la question des rapports. I1 me semble que ce terme vaut qu'on s'y arrête parce qu'enfin il est assez drôle à y regarder de près : rapport à quoi, de quoi, rapport entre quoi, voire rapport contre quoi, comme on dit le petit rapporteur. Est-ce que c'est vraiment bien ça, qu'on veut dire ? I1 faudrait voir. En tout cas si le mot rapport est clair quand on dit : "le rapport de M. Untel sur la situation financière ", on ne peut tout de même pas dire qu'on soit tout à fait à l'aise pour donner un sens qui doit être analogue à un terme comme "rapport sur l'angoisse" par exemple. Avouez que c'est assez curieux qu'on fasse un rapport sur l'angoisse, ou sur la poésie d'ailleurs, ou sur un certain nombre de termes de ce genre. J'espère tout de même que l'étrangeté de la chose vous apparaît, et spécifique pas seulement des congrès de psychanalystes mais un certain nombre d'autres congrès, disons, de philosophes en général.

    Le terme rapport, je dois dire, fait hésiter ; aussi bien dans un temps, je n'hésitais pas à appeler moi-même discours de que je pouvais avoir à dire sur des termes analogues : "Discours sur la causalité psychique", par exemple. Cela fait précieux. Je suis revenu à rapport comme tout le monde.

    Tout de même ce terme et son usage est fait pour vous faire poser la question justement du degré de convenance à quoi se mesurent ces rapports étranges à leurs étrangers objets. I1 est bien certain qu'il y a certaine proportion des dits rapports à un certain type constituant de la question à quoi il se rapporte : le vide qui est au centre de mon tore par exemple (->p348) (XVI/3) quand il s'agit de l'angoisse ou du désir, c'est fort sensible. Ce qui nous permettrait de croire, de comprendre que le meilleur écho du signifiant que nous puissions avoir du terme de rapport dit scientifique en l'occasion, serait à prendre avec ce qu'on appelle aussi le rapport quand il s'agit du rapport sexuel ; l'un et l'autre ne sont pas sans rapport avec la question dont il s'agit, mais c'est tout juste.

    C'est bien là que nous retrouvons cette dimension du "pas sans" en tant que fondatrice du point même où nous nous introduisons dans le désir et pour autant que l'accès du désir exige que le sujet ne soit pas sans l'avoir, l'avoir quoi ? C'est là qu'est toute la question. Autrement dit, que l'accès au désir réside dans un fait, dans ce fait que la convoitise de l'être dit humain ait à se déprimer inauguralement pour se restaurer sur les échelons d'une puissance dont c'est la question - de quoi elle est, mais surtout, cette puissance, vers quoi elle s'évertue. Or ce vers quoi elle s'évertue visiblement, sensiblement à travers toutes les métamorphoses du désir humain, il semble que c'est vers quelque chose toujours plus sensible, plus précisé qui s'appréhende pour nous comme ce trou central, cette chose dont il faut faire toujours plus le tour pour qu'il s'agisse de ce désir que nous connaissons ce désir humain en tant qu'il est de plus en plus informé, voilà ce qui fait donc jusqu' à un certain point légitime que leur rapport, du rapport sur l'angoisse en particulier de l'autre jour ne puisse accéder à la question que de n'être pas sans rapport avec la question.

    (->p349) (XVI/4) Cela ne veut tout de même pas dire que le sans, si je puis dire, doive trop prendre le pas sur le pas, autrement dit qu'on croie un peut peu trop aisément répondre au vide constitutif du centre d'un sujet par trop de dénuement dans les moyens de son abord ; et ici vous ne permettrez d'évoquer le mythe de la vierge folle qui, dans la tradition judéo-chrétienne, répond si joliment à celui de la  , de la misère dans le Banquet de Platon. La  réussit son coup parce qu'elle est au fait de Vénus ; mais ce n'est pas forcé : l'imprévoyance que symbolise la dite vierge folle peut très bien rater son engrossement.

    Alors, où est la limite impardonnable en cette affaire - parce qu'enfin c'est bien de ça qu'il s'agit : c'est du style de ce qui peut se communiquer dans un certain mode de communication que nous essayons de définir, celui qui me force à revenir sur l'angoisse ici, non pas histoire de reprendre ni de faire la leçon à ceux qui en ont parlé, non sans défaillances- limite évidemment cherchée, à partir de laquelle on peut faire reproche aux congrès en général de leurs résultats, où est-elle à chercher ? Puisque nous parlons de quelque chose qui nous permet d'en saisir le vide quand il s'agit par exemple de parler du désir ; est-ce que nous allons le chercher dans cette sorte de pêché dans le désir contre je ne sais quel feu de la passion, de la passion de la vérité par exemple, qui est le mode sur lequel nous pourrions très bien épingler par exemple une certaine tenue, un certain style : la tenue universitaire par exemple ? Cela serait bien trop commode, ça serait bien trop facile.

        (->p350) (XVI/5) Je n'irai sûrement pas ici à parodier sur le rugissement fameux du vomissement de l'Éternel devant une tiédeur quelconque une certaine chaleur aboutit aussi très bien - ça se sait - à la stérilité. Et à la vérité, notre morale, une moralité qui déjà se tient très bien, la morale chrétienne, dit qu'il n'y a qu'un seul péché : le péché contre l'esprit. Eh bien, nous, nous dirons qu'il n'y a pas de péché contre le désir, pas plus qu'il n'y a de crainte de l'aphanisis, au sens où l'entend M. Jones. Nous ne pouvons dire qu'en aucun cas nous puissions nous reprocher de ne pas assez bien désirer. Il n'y a qu'une chose et ça nous n'y pouvons rien - il n'y a qu'une chose à redouter c'est une obtusion à reconnaître la courbe propre à la démarche de cet être infiniment plat dont je vous démontre la propulsion nécessaire sur cet objet fermé que j'appelle ici le tore, qui n'est à vrai dire que la forme, la plus innocente que la dite courbure puisse prendre puisque dans telle autre forme qui n'est pas moins possible ni moins répandue, il est dans la structure même de ces formes où je vous ai un peu introduits la dernière fois, que le sujet se déplaçant se retrouve avec sa gauche placée à droite et ceci sans savoir comment ça a pu arriver, comment ça s'est fait. Ceci à cet endroit, tous ceux qui ici m'écoutent n'ont rien à cet endroit de privilégié ; jusqu'à un certain point je dirai que moi non plus ; ça peut m'arriver comme aux autres.

    La seule différence entre eux et moi jusqu'à présent, il me semble, ne résidait que dans le travail que j'y mets pour autant que j'en donne un petit peu plus qu'eux.

    Je puis dire que dans un certain nombre de choses (->p351) (XIV/6) qui ont été avancées sur un sujet que sans doute je n'ai point abordé : l'angoisse - ce n'est pas cela qui me décide à vous  annoncer que ce sera le sujet de mon séminaire de l'année prochaine, si tant est que le siècle nous permette qu'il y en ait un sur ce sujet de l'angoisse j'ai entendu bien des choses étranges, des choses aventurées, pas toutes erronées et que je n'aurai pas à reprendre, m'adressant nommément à tel ou tel, une par une.

     Il me semble néanmoins que ce qui s'est révélé là une certaine défaillance, était bien celle d'un sans et pas du tout de nature à recouvrir ce que j'appelle le vide du centre. Tout de même quelques propos de mon dernier séminaire eussent dû, sur les points les plus vifs, vous mettre en garde , et c'est pour pour ça qu'il me parait aussi légitime d'aborder la question sous ce  biais aujourd'hui puisque ceci s'enchaîne exactement au  discours d'il y a huit jours. Ce n'est donc tout de même pas pour rien que j'y ai mis l'accent, rappelé la distance qui sépare dans nos coordonnées fondamentales, celles où doivent s'insérer nos théorèmes sur l'identification cette année, sur la distance qui sépare l'Autre de la chose, ni non plus  qu'en propres termes j'ai cru devoir vous pointer le rapport de l'angoisse au désir de l'Autre.

     Faute vraiment de partir de là, de s'accrocher à ça comme à une sorte de poignée ferme et pour n'avoir fait que tourner autour par je ne sais quelle pudeur - car vraiment à de certains moments, je dirai presque tout le temps - et jusque dans ces rapports dont j'ai parlé pour le je ne sais quoi qui tient de cette sorte de manque qui n'est pas le bon, jusque dans ces rapports quand même vous pouvez connoter en marge de je ne sais (->p352) (XVI/7) quoi qui était toujours la convergence s'imposant avec une espèce d'orientation d'aiguille, de boussole, que le seul terme qui pouvait donner une unité à cette sorte de mouvement d' oscillation autour de quoi la question tremblait, c'était ce terme : le rapport de l'angoisse au désir de l'Autre ; et c'est ceci que je voudrais, parce qu'il serait faux, vain, mais non sans risque de ne pas ici marquer quelque chose au passage qui puisse être comme un germe pour empêcher tout ce qui s'est dit sans doute d'intéressant au fur et à mesure des heures de cette petite réunion où des choses de plus en plus accentuées arrivaient à s'énoncer, pour que ceci ne se dissipe pas, pour que ceci se raccorde à notre travail, permettez-moi d'essayer ici très massivement comme en marge et presqu'en avance mais non aussi sans une pertinence de points exacts, au point où nous étions arrivés de ponctuer un certain nombre de repères premiers, sans la référence, qui ne devraient à aucun moment vous faire défaut.

    Si le fait que la jouissance en tant que jouissance de la chose, est interdite en son accès fondamental, si c'est là que je vous ai dit pendant toute l'année du séminaire sur l' Éthique, si c'est dans cette suspension, dans le fait qu'elle est, cette jouissance, aufgehohen, suspendue, proprement que gît le plan d'appui où va se constituer comme tel et se soutenir le désir - ça c'est vraiment l'approximation la plus lointaine de tout ce que le monde peut dire - vous ne voyez pas que nous pouvons formuler que l'Autre, cet Autre en tant qu'à la fois il se pose être et qu'il n'est pas, qu'il est à être, l'Autre ici quand nous nous avançons vers le désir nous voyons bien (->p353) (XVI/8) qu'en tant que son support c'est  le signifiant pur, le signifiant de la loi, que l'Autre se présente ici comme métaphore de cette interdiction. Dire que l'Autre c'est la loi ou que c'est la jouissance en tant qu'interdite, c'est la même chose. Alors, alerte à celui qui n'est pas là d'ailleurs aujourd'hui qui de l'angoisse à fait le support et le signe et le spasme de la jouissance d'un soi identifié, identifié exactement comme s'il n'était pas mon élève avec ce fond ineffable de la pulsion comme du coeur, du centre, de l'être justement où il 'y a rien. Or tout ce que je vous enseigne sur la pulsion c'est justement qu'elle ne se confond pas avec ce soi mythique, qu'elle n'a rien à faire avec  ce qu'on en fait dans une perspective jungienne. Évidemment il n'est pas commun de dire que l'angoisse est la jouissance de ce qu'on pourrait appeler le dernier fond de son propre inconscient. C'est à cela que tenait ce discours. Ce n'est pas commun et ce n'est pas parce que ce n'est pas commun que c'est vrai. C'est un extrême auquel on peut être amené quand on est dans une certaine erreur qui repose toute entière sur l'élision de ce rapport  de l'Autre à la chose en tant qu'antinomique ; l'Autre est à l'être, il n'est donc pas, il a tout de même quelque réalité, sans cela je ne pourrai même pas le définir comme le lieu où se déploie la chaîne signifiante, le seul Autre réel étant ce dont on pourrait jouir sans la loi.  Cette virtualité définit l'Autre comme lieu : La chose en somme élidée, réduite à son lieu, voilà l'Autre avec un grand A. Et je vais tout de suite très vite sur ce que j'ai à dire à propos de l'angoisse : cela passe, vous ai-je annoncé, par le désir de l'Autre. Alors c'est là que nous sommes (->p354) (XVI/9) avec notre tore, c'est là que nous avons à le définir pas à pas. C'est là que je ferai un premier parcours un peu trop vite  ça n'est jamais mauvais puisqu'on peut revenir en arrière.

    Première approche : allons-nous dire que ce rapport que j'articule en disant que le désir de l'homme c'est le désir de l'Autre, ce qui bien sûr entend dire quelque chose, mais maintenant ce qui est en question, ce que déjà ça introduit c'est qu'évidemment je dis tout autre chose. Je dis que le désir x du sujet ego est le rapport au désir de l'Autre, serait par rapport au désir de l'Autre dans un rapport beschränkung, de limitation, viendrait à se configurer dans un simple champ d'espace vital ou non, conçu comme homogène, viendrait se limiter par leurs heurts. Image fondamentale de toutes sortes de pensées quand on spécule sur les effets d'une conjonction psycho-sociologique. Le rapport du désir du sujet, du sujet au désir de l'Autre n'a rien à faire avec quoi que ce soit d'intuitivement supportable de ce registre.

    Un premier pas serait d'avancer que si mesure veut dire mesure de grandeur, il n'y a point entre eux de commune mesure et rien qu'à dire ça, nous rejoignons l'expérience. Qui a jamais trouvé une commune mesure entre son désir et quiconque à qui il a affaire comme désir ? Si on ne met pas ça  d'abord dans toute science de l'expérience,  quand on a le titre  de Hegel, le  vrai titre de la "Phénoménologie de l'esprit", on peut tout se permettre, y compris les prêcheries délirantes sur les bienfaits de la génitalité. C'est ça et rien d'autre que veut dire mon introduction du symbole  , c'est quelque chose destiné à vous suggérer que , multiplié par , (->p355) (XVI/10) le produit de mon désir par le désir de l'Autre ça ne donne et ça ne peut donner qu'un manque : -1, 1e défaut du sujet en ce point précis :

                                  X         =   - 1


Résultat : le produit d'un désir par l'autre ne peut être que ce manque, et c'est de là qu'il faut partir pour tenir quelque chose. Ceci veut dire qu'il ne peut y avoir aucun accord, aucun contrat sur le plan du désir, que ce dont il s'agit dans cette identification du désir de l'homme au désir de l'Autre, c'est ceci que je vous montrerai dans un jeu manifeste en faisant jouer pour vous les marionnettes du phantasme en tant qu'elles sont le support, le seul support possible de ce qui peut être au sens propre une réalisation du désir. Eh bien, quand nous en serons arrivés là - vous pouvez quand même déjà voir indiqué dams mille références : les références à Sade, pour prendre les plus proches, le phantasme : "un enfant est battu" , pour prendre un des biais premiers avec lesquels j'ai commencé à introduire ce jeu - ce que je montrerai c'est que la réalisation du désir signifie, dans l'acte même de cette réalisation, ne peut signifier qu'être l'instrument, que servir le désir de l'Autre qui n'est pas l'objet que vous avez en face dans l'acte mais un autre qui est derrière.

    Il s'agit là du terme possible dans la réalisation  du phantasme, ce n'est qu'un terme possible et avant de vous êtres faits vous-même l'instrument de cet autre dans un hyper espace, vous avez bel et bien affaire à des désirs réels. Le désir existe, est constitué, se promène à travers le monde et il exerce ses ravages avant toute tentative de (->p356) (XVI/11) de vos imaginations érotiques ou pas pour le réaliser ; et même il n'est pas exclu que vous le rencontriez comme tel, le désir de l'Autre, de l'Autre réel tel que je l'ai défini tout à l'heure.

    C'est en ce point que naît l'angoisse ; l'angoisse c'est bête comme chou. C'est incroyable qu'à aucun moment je n' ai vu même l'ébauche de ceci qui semblait à certains moments, comme on dit, être un jeu de cache-tampon, qui est tellement simple. On a été chercher l'angoisse, et plus exactement ce qui est plus originel que l'angoisse : la préangoisse, l'angoisse traumatique. Personne n'a parlé de cela : l'angoisse, c'est la sensation du désir de l'Autre. Seulement, comme bien entendu, chaque fois que quelqu'un avance une nouvelle formule, je ne sais pas ce qui se passe, les précédentes filent dans le fond le vos poches ou n'en sortent plus. Il faut quand même que j' image ça - je m'excuse - et même grossièrement pour faire sentir ce que je veux dire, quitte après cela à ce que vous essayez de vous en servir, et cela peut servir dans tous les endroits où il y a angoisse.

    Petit apologue qui n'est peut-être pas le meilleur. La vérité, c'est que je l'ai forgé ce matin, me disant qu'il fallait que j'essaie de me faire comprendre. D'habitude je me fais comprendre à côté, ce qui n'est pas si mal. Cela vous évite de vous tromper à la bonne place. Là je vais essayer de me faire comprendre à la bonne place et vous éviter de faire erreur. Supposez ici dans une enceinte fermée s.............(illisible)  ...gieuse de trois mètres.................(illisible) (->p357) (XVI/12) pour que j'aie la taille du dit mâle, en plus je suis revêtu d'une dépouille à la taille du dit mâle qui a 1 m 75, à peu près la mienne. Je me mire, je mire mon image ainsi affublée dans l'oeil à facettes de la dite mante religieuse. Est-ce que c'est ça 1'angoisse ?

    C'en est très près. Pourtant en vous disant que c'est la sensation du désir de l'Autre, cette définition se manifeste ce qu'elle est, à savoir purement introductive. Il faut évidemment vous référer à ma structure de sujet, c'est-à-dire connaître tout le discours antécédent pour comprendre que si c'est de l'Autre avec un grand A qu'il s'agit, je ne peux pas me contenter de ne pas aller plus loin pour ne représenter dans 1'affaire que cette petite image de moi en mante mâle dans l' oeil à facettes de l'autre. Il s'agit à proprement parler de l'appréhension pure du désir de l'Autre comme tel si justement je méconnais quoi ? mes insignes : à savoir que moi je suis affublé de la dépouille du mâle. Je ne sais pas ce que je suis comme objet pour l'Autre. L'angoisse, dit-on, est un affect sans objet mais ce manque d'objet, il faut savoir où il est : il est de mon côté. L'affect d'angoisse est en effet connoté par un défaut d'objet, mais non pas par un défaut de réalité. Si je ne me sais plus objet éventuel de ce désir de 1'Autre, cet Autre qui est en face de moi, sa figure m'est entièrement mystérieuse dans la mesure surtout où cette forme comme telle que j'ai devant moi  ne peut   en effet non plus être constituée pour moi en objet, mais où tout de même je peux sentir un mode de sensations  qui font toute la substance de ce qu'on appelle l'angoisse, de cette (->p358) (XVI/13) oppression indicible par où nous arrivons à la dimension même du lieu de l'Autre en tant qu'y peut apparaître le désir.   


 C'est cela l'angoisse. Ce n'est qu' à partir de là que vous pouvez comprendre les divers biais que prend le névrosé pour s'en arranger de ce rapport avec le désir de l'Autre. Alors, au point où nous en sommes, ce désir, je vous l'ai montré la dernière fois  


 comme inclus nécessairement dans la demande de l'Autre. Ici d' ailleurs qu'est-ce que vous retrouvez comme vérité première si ce n'est le commun de l'expérience quotidienne ? Ce qui est angoissant pour quiconque, pas seulement pour les petits enfants, mais pour les petits enfants que nous sommes tous, c'est dans quelque demande ce qui peut bien se cacher de cet x, de cet x impénétrable et angoissant par excellence du " qu'est-ce qu'il peut bien à cet endroit vouloir ? " Ce que la configuration ici demande, vous le voyez bien : c'est un médium entre demande et désir. Ce médium, il a un nom, ça s'appelle le phallus. La fonction phallique, ça n'a absolument pas d'autre sens que d'être ce qui donne la mesure de ce champ à définir, à l'intérieur de la demande comme le champ du désir, et aussi bien, si on veut, que tout ce que nous raconte la théorie analytique, la doctrine freudienne en la matière consiste justement à nous dire que c'est par là en fin de compte que tout s'arrange.

    Je ne connais pas le désir de l'Autre : l' angoisse, mais j'en connais l'instrument : le phallus et qui que je sois, je suis prié d'en passer par là et de ne pas faire d' (->p359) (XVI/13) histoires ; ce qui s'appelle en langage courant continuer les principes de papa ; et comme chacun sait que depuis quelque temps papa n'a plus de principes, c'est avec cela que commencent tous les malheurs ; mais tant que papa est là en tant qu'il est le centre autour duquel s'organise le transfert de ce qui est en cette matière l'unité d'échange, à savoir  , je veux dire l'unité qui s'instaure, qui devient la base et le principe de tout soutien de tout fondement, de toute articulation du désir, eh bien, les choses peuvent aller, elles seront exactement tendues entre le  , " puisse-t-il ne jamais m'avoir enfanté ! " à la limite et ce qu'on appelle la baraka dans la tradition sémite et même biblique à proprement parler, à savoir le contraire ce qui me fait le prolongement vivant, actif de la loi père, du père comme origine de ce qui va se transmettre comme désir.

    L'angoisse de castration donc, vous allez voir ici qu'elle a deux sens et deux niveaux ; car si le phallus est cet élément de médiation qui donne au désir son support, en bien la femme n'est pas la plus mal partagée dans cette affaire parce qu'après tout pour elle c'est tout simple : puisqu'elle ne l'a pas, elle n'a qu'à le désirer ; et ma foi dans les cas les plus heureux, c'est en effet une situation dont elle s'accommode fort bien. Toute la dialectique du complexe de castration en tant que pour elle, elle introduit l'Oedipe, nous dit Freud, cela ne  veut pas dire autre chose. Grâce à la structure même du désir humain, la voie pour elle nécessite moins de détours - la voie normale - que pour l'homme. Car pour l'homme, pour que son phallus puisse servir à ce fondement du champ du désir, va-t-il (->p360) (XVI/15) falloir qu'il le demande pour l'avoir ? C'est bien quelque chose comme ça dont il s'agit au niveau du complexe de castration, c'est d'un passage transitionnel de ce qui en lui est le support naturel, devenu à demi étranger, vacillant du désir à travers cette habilitation par la loi, ce en quoi ce morceau, cette livre de chair va devenir le gage, le quelque chose par où il va se désigner à la place où il a à se manifester comme désir à l'intérieur du cercle de la demande. Cette préservation nécessaire du champ de la demande qui "humanise" par la loi le mode de rapport du désir à son objet, voilà ce dont il s'agit à ce point et ce qui fait que le danger pour le sujet est non pas, comme on le dit dans toutes ces déviations que nous faisons depuis des années d'essayer de contrarier l'analyse, que 1e danger pour le sujet n'est pas d'aucun abandon de la part de l'Autre, mais de son abandon de sujet à la demande. Car pour autant qu' il vit, qu'il développe la constitution de son rapport au phallus étroitement sur le champ de 1a demande, c'est là que cette demande n'a à proprement parler pas de terme : car ce phallus encore qu'il faille pour introduire, pour instaurer ce champ du désir, qu'il soit demandé - comme vous le savez - il n'est à proprement parler pas au pouvoir de 1'Autre d'en faire 1e don sur le plan de la demande. C'est dans la mesure où la thérapeutique n'arrive point à résoudre mieux qu'elle ne l'a fait la terminaison de l'analyse, n'arrive pas à la faire sortir du cercle propre à la demande, qu'elle bute, qu'elle se termine à la fin sur cette forme revendicatoire, sur cette forme inassouvissable, end-liche que Freud dans son dernier article, "L'analyse terminée et interminable", signe comme angoisse non résolue de la castration (->p361) (XVI/16) chez l'homme, comme pénisneid chez la femme. Mais une juste position, une position correcte de la fonction de la demande dans l'efficience analytique et de la façon de la diriger pourrait peut-être nous permettre, si nous n'avions pas là-dessus tant de retard, un retard déjà suffisamment désigné par le fait que manifestement ce n'est que dans les cas les plus rares que nous arrivons à buter à ce terme marqué par Freud comme point d'arrêt à sa propre expérience. Plût au ciel, que nous en arrivions là, même si c'est en impasse ! Cela prouverait déjà au moins jusqu'où nous pouvons aller, alors que ce dont il s'agit, c'est de savoir effectivement si d'aller jusque là nous mène à une impasse ou si ailleurs on peut passer.

    Faut-il qu'avant de vous quitter, je vous indique quelques-uns de ces petits points qui vous donneront satisfaction pour vous montrer que nous sommes à la bonne place en nous référant à quelque chose qui soit dans notre expérience du névrosé ? Qu'est-ce que fait, par exemple, l'hystérique ou la névrosée obsessionnelle dans le registre que nous venons d'essayer de construire, qu'est-ce qu'ils font l'un et l'autre en cet endroit du désir de l'Autre comme tel ?

    Avant que nous soyons tombés dans leur panneau en les incitant à jouer tout le jeu sur le plan de la demande, à nous imaginer - ce qui n'est pas d'ailleurs une imagination absurde- que nous arriverons à la limite à définir le champ phallique comme l'intersection de deux frustrations, qu'est-ce qu'ils font spontanément ?

    (->p362) (XVI/17)  L'hystérique, c'est bien simple ; l'obsessionnel aussi, mais c'est moins évident. L'hystérique n'a pas besoin d'avoir assisté à notre séminaire pour savoir que le désir de l'homme est le désir de l'Autre et que par conséquent, l'Autre peut parfaitement dans cette fonction du désir, elle, l'hystérique, la suppléer. L'hystérique vit son rapport à l'objet en fomentant le désir de l'Autre avec un grand A pour cet objet . Référez-vous au cas Dora. Je pense avoir suffisamment articulé ceci en long et en large pour n'avoir pas besoin même ici de le rappeler. Je fais simplement appel à l'expérience de chacun et aux opérations dites d'intrigante raffinée que vous pouvez  voir se développer dans tout comportement d'hystérique qui consiste à sustenter dans son entourage immédiat l'amour d'un tel pour tel autre qui est son ami et véritable objet dernier de son désir, l'ambiguïté restant bien sûr toujours profonde de savoir si la situation ne doit pas être comprise dans le sens inverse.

    Pourquoi ? C'est ce que bien sûr vous pourrez, dans la suite de nos propos voir comme parfaitement calculable du seul fait de la fonction du phallus qui peut toujours ici passer de l'un à l'autre des deux partenaires de l'hystérique.

    Mais, ceci nous y viendrons dans le détail. Et qu'est-ce que fait vraiment l'obsessionnel concernant, je parle  directement, son affaire avec le désir de l'Autre ? C'est plus  astucieux puisque aussi bien ce champ du désir est constitué  par la demande paternelle en tant que c'est elle qui préserve,  qui définit le champ du désir comme tel en l'interdisant. Eh (->p363) (XVI/18) bien, qu'il s'en débrouille donc lui-même, celui qui est chargé de soutenir le désir à l'endroit de l'objet dans la névrose obsessionnelle : le mort. Le sujet a le phallus, il peut même à l'occasion l'exhiber, mais c'est le mort qui est prié de s'en servir. Ce n'est pas pour rien que j'ai pointé l'histoire de "l'Homme aux rats", l'heure nocturne où après s'être longuement contemplé en érection dans la glace il va à la porte d'entrée ouvrir au fantôme de son père, le prier de constater que tout est prêt pour le suprême acte narcissique qu'est pour l'obsessionnel ce désir.

    A ceci près ne vous étonnez pas qu'avec de tels moyens l'angoisse n'affleure que de temps en temps, qu'elle ne soit pas là tout le temps, qu'elle soit même beaucoup plus et beaucoup mieux écartée chez l'hystérique que chez l'obsessionnel, la complaisance de l'Autre étant beaucoup plus grande que celle quand même d'un mort qu'il est toujours difficile quand même de maintenir présent si l'on peut dire. C'est pourquoi l' obsessionnel de temps en temps chaque fois que ne peut pas être répété à satiété tout l'arrangement qui lui permet de s' en arranger avec le désir de l'Autre, voit ressurgir bien sûr d'une façon plus ou moins débordante l'affect d'angoisse. De là, seulement à retourner en arrière, vous pouvez comprendre que l'histoire phobique marque un premier pas dans cette tentative qui est proprement le mode névrotique de résoudre le problème du désir de l'Autre, un premier pas, dis-je, de la façon dont ceci peut se résoudre. C'est un pas comme chacun sait, celui-là, qui est loin bien sûr d'arriver à cette solution relative de la relation d'angoisse.

    (->p364) (XV/19) Bien au contraire, ce n'est que d'une façon tout à fait précaire que cette angoisse est maîtrisée, vous le savez, par l'intermédiaire de cet objet dont déjà l'ambiguïté à lui nous à déjà assez soulignée entre la fonction petit a et la fonction petit  fi. Le facteur commun que constitue le petit fi dans tout désir a du désir est là en quelque sorte extrait et révélé. C'est ce sur quoi je mettrai l'accent la prochaine fois pour repartir à partir de la phobie, pour préciser en quoi exactement consiste cette fonction du phallus.

    Aujourd'hui en gros que voyez-vous ? C'est qu'en fin de compte la solution que nous apercevons du problème du rapport du sujet au désir dans son fond radical, se propose ainsi : puisque de demande il s'agit et qu'il s'agit de définir le désir, eh bien disons le grossièrement : le sujet demande le  phallus et le phallus désire. C'est aussi bête que ça. C'est de là tout au moins qu'il faut partir comme formule radicale pour voir effectivement ce qu'il en est fait dans l'expérience. Ce modèle se module autour de ce rapport du sujet au phallus en tant que, vous le voyez, il est essentiellement de nature identificatoire et que s'il y a quelque chose qui effectivement peut provoquer ce surgissement d'angoisse lié à la crainte d'une perte, c'est le phallus. Pourquoi non pas le désir ? Il n'y a pas de crainte de l'aphanisis, il y a la crainte de perdre le phallus parce que seul le phallus peut donner son champ propre au désir.

    Mais maintenant qu'on ne nous parle pas non plus de défense contre l'angoisse. On ne se défend pas contre l'an-(->p365) (XVI/20)goisse, pas plus qu'il n'y a de crainte de l'aphanasis. L'angoisse est au principe des défenses, mais on ne se défend pas contre l'angoisse. Bien sûr, si je vous dis que je consacrerai toute une année à ce sujet de l'angoisse, c'est vous dire que je ne prétends pas aujourd'hui en avoir fait le tour, que ceci ne pose pas de problème. Si l'angoisse - c'est toujours à ce niveau que vous a défini presque caricaturalement mon petit apologue, que se situe l'angoisse - si l'angoisse peut devenir un signe, c'est bien sûr que transformée en signe, elle n'est peut-être pas tout à fait la même chose que 1à où j'ai essayé de vous la poser d'abord dans son point essentiel.

    Il y a aussi un simulacre de l'angoisse. A ce niveau, bien sûr, on peut être tenté d'en minimiser la portée, pour autant qu'il est vraiment sensible que si le sujet s'envoie à lui-même des signes d'angoisse c'est manifestement pour que ça soit plus gai. Mais c'est tout de même pas de là que nous pouvons partir pour définir la fonction de l'angoisse ; et puis enfin pour dire, comme j'ai prétendu uniquement le faire aujourd'hui, des choses massives, qu'on s'ouvre à cette pensée que si Freud nous a dit que l'angoisse est un signal qui passe au niveau du moi, il faut quand même savoir que c'est un signal pour qui ? pas pour le moi, puisque c'est au niveau du moi qu'il se produit. Et ça aussi j'ai regretté beaucoup que dans notre dernière rencontre, cette simple remarque, personne n'ait songé à la faire.